Ce qui dépend de nous, ce qui ne dépend pas de nous

Modifié par Estelledurand


Analysez cette image générée par IA, pour identifier des éléments qui se trouvent dans l'extrait ci-dessous. Quelle interprétation pouvez-vous en faire ?


Extrait :

I. 

1. Il y a des choses qui dépendent de nous, et il y en a qui ne dépendent pas de nous. Ce qui dépend de nous, ce sont nos pensées, nos résolutions, les mouvements par lesquels notre volonté se porte vers un objet ou s’en détourne : en un mot tout ce qui est notre œuvre. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps, c’est la richesse, c’est l’opinion d’autrui, c’est le pouvoir : en un mot tout ce qui n’est pas notre œuvre.

2. Les choses qui dépendent de nous sont libres par essence ; elles ne peuvent être ni empêchées ni contrariées ; celles qui ne dépendent pas de nous sont faibles, esclaves, incertaines, étrangères à nous.

3. Souviens-toi donc de ceci : si tu crois libre ce qui de sa nature est esclave, si tu crois pouvoir disposer de ce qui dépend d’une puissance autre que la tienne, tu seras entravé, affligé, troublé ; tu te plaindras des dieux et des hommes. Si, au contraire, tu regardes comme tien cela seul qui est véritablement tien, comme étranger à toi ce qui est étranger à toi, nul ne pourra te contraindre ou te faire obstacle, tu ne te plaindras de personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras rien malgré toi, personne ne te lésera, tu n’auras point d’ennemi, tu ne seras obligé de te plier à rien de fâcheux.

4. Si tu aspires à un si noble but, rappelle-toi donc qu’une telle entreprise ne peut être embrassée mollement, que tu dois renoncer entièrement à certaines choses, que tu dois t’abstenir pour le moment de certaines autres. Si, en effet, désirant ces biens, tu cherches de plus le pouvoir et la richesse, tu risques de manquer ces derniers avantages pour vouloir poursuivre aussi les premiers, et à coup sûr tu perdras complètement ceux-là seuls qui pouvaient te donner la liberté et le bonheur.

5. Ainsi donc à toute apparence de malheur, aie soin de dire : "Tu n’es qu’apparence, tu n’es point du tout ce que tu apparais." Ensuite, examine-la bien, et, pour la juger, sers-toi des règles dont tu disposes, de cette première règle surtout qui te prescrit de demander : "Cette chose est-elle ou n’est-elle pas de celles qui dépendent de nous ?" Si elle est de celles qui ne dépendent pas de nous, dis-toi bien vite : "Cela ne me touche point."

II.

1. Souviens-toi que la fin du désir est de posséder l’objet du désir, comme la fin de l’aversion est d’éviter l’objet de l’aversion ; et comme celui-là est malheureux qui est privé de ce qu’il souhaite, celui-là aussi est misérable qui tombe dans ce qu’il voulait éviter. Si donc tu ne veux détourner de toi que des choses qui dépendent de toi, tu éviteras toujours l’objet de ton aversion ; mais si tu veux détourner de toi la maladie, la mort, la pauvreté, tu seras misérable.

2. Laisse donc là ton aversion pour ce qui ne dépend pas de toi. Reporte-la sur des choses qui, dépendant de toi, sont contraires à la nature. Mais, pour le moment, renonce à toute espèce de désir : car si tu en éprouves pour des choses qui ne dépendent pas de toi, tu es forcément malheureux. Quant aux choses qu’il peut être beau de désirer parmi celles qui dépendent de nous, tu n’es encore prêt pour aucune d’elles. Contente-toi de rechercher ce que tu dois rechercher, de fuir ce que tu dois fuir, mais toujours avec modération, avec discrétion, avec retenue.

ÉPICTÈTE, Manuel, tr. H. Joly, Librairie Delain, 1901.


Questions : 

1. Partez de votre expérience ordinaire pour examiner l'intérêt pratique à distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n'en dépend pas. Par exemple, ne vous est-il jamais arrivé, après avoir réalisé une épreuve d'examen, de vous dire "pourvu que ceci" ou "pourvu que cela" ? Avez-vous la moindre prise sur ce "ceci", ce "cela" ? En revanche, à quel moment aviez-vous prise sur le cours des événements ? Et, en imaginant que l'issue de votre examen ne soit pas entièrement décidée par la qualité de votre travail, mais dépende aussi du niveau du travail des autres candidats, et de bien d'autres facteurs encore : avez-vous prise sur tout cela ? Pour autant, ne nous torturons-nous pas à espérer que survienne ce sur quoi nous ne pouvons pas ou plus agir ?

2. Analysez la dichotomie qui ouvre le texte : "Il y a des choses qui dépendent de nous, et il y en a qui ne dépendent pas de nous".

a) L'extrait s'ouvre comme une description objective ("il y a") : cela va-t-il de soi de se rapporter ainsi aux choses ?

b) Cette objectivité de deux sortes de choses est certes, ainsi présentée, tout à fait logique, en même temps qu'elle trouve aisément à s'illustrer dans l'expérience : en effet, il dépend de moi de ne pas être affecté par tel jugement de telle personne, en revanche, il ne dépend pas de moi que cette personne émette ou non un jugement. Pour autant, bien que cette première phrase formule une "évidence", sommes-nous, dans nos vies, attentifs à ce que dit cette évidence ? Savons-nous bien faire le partage, entre ce qui dépend de nous, et ce qui n'en dépend pas ?

3. Relevez dans un tableau à deux colonnes les éléments du texte correspondant à ce qui dépend de nous, et ceux qui n'en dépendent pas.

4. Expliquez à partir du texte en quoi confondre les deux conduit à se méprendre quant à notre liberté. N'oubliez pas ici qu'Épictète était esclave et formule d'emblée de quoi comprendre qu'un esclave peut vivre en homme libre (et inversement : un citoyen peut vivre en esclave).

5. Dès lors, quel besoin d'écrire tout un traité, si dès les premières lignes tout a été dit ?

6. Réfléchissons-y de plus près : dès les premières lignes, en effet, nous arrivons à identifier le fondement de la thèse stoïcienne en matière d'éthique. Voilà qui est suffisant pour la rapporter. En revanche, cela suffit-il à faire en sorte que désormais, nous vivions en n'étant pas douloureusement affectés par ce qui ne dépend pas de nous ? Que faudra, ou faudrait-il, pour en arriver là ?

7. Puisque nous n'avons prise que sur ce qui dépend de nous, alors nous détenons là un principe, sur quoi régler nos désirs : que désirer ? De quoi nous détourner ?

8. "Cela ne me touche point" : voilà ce que dit et éprouve le sage, quand survient ce qui ne dépend pas de lui :

a) Analysez en quoi ce qui est d'abord un argument logique a des effets éthiques.

b) Comment expliquez-vous une telle capacité à agir sur ce que nous éprouvons quelles que soient les épreuves traversée ? Suffit-il de décider de ne pas souffrir du décès d'un proche, pour effectivement ne pas en souffrir ?

9. À ce stade de la lecture, n'êtes-vous pas choqué, voire indigné ? COMMENT dénier la souffrance éprouvée lorsque surviennent des événements sur lesquels nous n'avons aucune prise ? Suffirait-il donc d'y consentir, parce qu'ils ne dépendent pas de nous, pour ne plus en être peiné ?

10. Le propos suivant est introduit selon une nouvelle modalité : que signifie, d'après vous, ce "[s]ouviens-toi" ?

11. En appliquant aux désirs et aux aversions la dichotomie entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, apparaît un vaste espace de pouvoir que nous avons sur la manière de mener notre vie. Expliquez-le.

12. Comment comprenez-vous "pour le moment, renonce à toute espèce de désir" ? Est-ce une condamnation de tout désir, ou bien une règle de prudence provisoire, parce qu'au début de son chemin, le disciple est encore en proie aux désirs charnels les plus immédiats ? Appuyez-vous sur la suite du texte pour répondre.

13. Nous comprenons qu'il se trouve des "choses qu’il peut être beau de désirer parmi celles qui dépendent de nous", mais qu'il est encore trop tôt pour que le disciple puisse les discerner, et avoir à leur sujet de justes représentations. Pourquoi ? 

14. Modération, discrétion et retenue, apparaissent comme étant trois vertus à mettre en œuvre dans l'évitement de ce qui est à éviter, et la recherche de ce qui est à rechercher : pourquoi ?

15. Que faut-il rechercher, et que faut-il fuir ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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